Si je meurs au combat (Tim O'Brien)

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Si je meurs au combat raconte la guerre du Vietnam telle que l'a vécue Tim O'Brien, de ses classes jusqu'à son arrivée sur les lieux du conflit, entre 1968 et 1970. Paru seulement 3 ans après ce retour, en 1973, le roman a été plutôt inattendu, alors que le conflit était encore bien frais dans la mémoire des américains (les dernière troupes se sont retirées en 1972).
 
Ce que j'ai le plus apprécié dans ce récit, c'est la façon dont Tim O'Brien raconte ou décrit chaque instant de cette guerre, avec précision et sans prendre de gants, pour être au plus près de son expérience traumatisante et mieux la faire comprendre. Il décrit par exemple, et d'une manière qui peut paraître assez froide, les différents types de mines qui existent, et ce qu'elles coûtent quand on marche dessus. Il décrit également les différents lieux dans lesquels sa compagnie (la compagnie Alpha) devait se rendre pour diverses opérations, en insistant sur l'aspect hostile, car souvent inconnu et bourré de pièges, de ces lieux (lieux qui plus est en pleine nuit quand toute utlisation de lumière est synonyme de mort certaine).  De ce fait, même s'il raconte avant tout son histoire, il raconte aussi, par ce regard très précis et parfois détaché, l'histoire de tous ces soldats qui ont été envoyés de force au Vietnam, pour une guerre dont ils ne comprenaient pas le sens (il a d'ailleurs lui-même longuement songé à déserter avant de faire ses classes, allant même jusqu'à préparer ses affaires pour partir au Canada). 
Un extrait sur les types de mines, comme développé plus haut :
"Ce qu'on redoutait le plus, c'était le Bouncing Betty, l'une des mines les plus courantes. La Bouncing Betty surgit de son petit nid enfoncé dans la terre, et quand elle arrive au plus haut, elle explose - efficace et mortel. Quand le type a du bol et que la mine est là depuis pas mal de temps, qu'elle a été exposée à la pluie, il pourra peut-être voir ses trois dents sortir de l'argile. Les dents servent de détonateur. S'il marche dessus, le soldat malchanceux entendra une explosion sourde - il s'agit de la charge initiale qui envoie la mine à un mètre dans les airs. Le type fait encore un pas, commence celui d'après, et puis il a tout l'arrière en sang et ça y'est, il est mort. On appelle ça "le bon vieux pas et demi".
 
Malgré tous ces instants de désespoir dus au fait de voir des camarades mourir au combat et d'avoir des difficultés à survivre, Tim O'Brien revient également sur des instants de bonheur, de répit, qui l'ont sauvés de la folie, risque pour chaque soldat face à des conditions inhumaines : les rencontres marquantes qu'il a pu faire pendant ses classes, ayant notamment pour conséquence la tenue d'une correspondance avec un de ses camarades. C'est justement cette correspondance et cette expérience de la guerre qui vont le mener ensuite à l'écriture quand il rentrera aux Etats-Unis. 
Un autre extrait qui montre justement un des moments d'accalmie de la compagnie Alpha :
" Le premier mois au sein de la compagnie Alpha a été une période assez particulière. C'était surtout des vacances. On se baladait sur les plages, à l'extérieur de Chu Lai, on faisait des patrouilles de garde et très peu d'embuscades nocturnes. Ce dont rêvaient tous les soldats. Il n'y avait pas de Viet-congs, pas de mines, il y avait du soleil, l'eau où l'on se baignait était bien chaude, on se faisait approvisionner deux fois par jour en lait et en bières. On formait une sorte de cirque ambulant. Toute une file de gosses et de nanas du coin nous suivait d'un banc de sable à l'autre, et tout ce beau monde essayait de nous refourguer du Coca, des photos de cul, nettoyait nos armes, et tout ça en échange d'une boîte de ration C. Pendant la journée, on jouait au foot. Il y avait deux ou trois amoureux qui traînaient sous leur poncho avec des Vietnamiennes. "
 
Ce qui est également intéressant dans ce récit, c'est qu'à aucun moment, Tim O'Brien ne prend véritablement parti pour ou contre cette guerre en particulier : il la décrit, tout simplement, en tant que soldat qui l'a vécue. La conclusion de son récit reste cependant sans appel, autant pour la guerre du Vietnam que pour toute autre guerre : c'est une action inhumaine, qui n'a aucun sens, et jamais réellement de véritable "camp" meilleur qu'un autre. C'est ce que montre le récit qu'il fait de son passage à Pinkville (My Lai), zone particulièrement dangereuse, dans lequel a eu lieu le massacre tristement célèbre de civils vietnamiens, en mars 1968, un mois avant l'arrivée de sa compagnie.
Pour une description de Pinkville, c'est à lire dans cette citation de la semaine.
 
Un récit vraiment poignant, dont on a du mal à se détacher (je l'ai lu en un ou deux jours) et que je conseille fortement. L'écriture est à la fois passionnée, nous présentant un jeune homme en devenir, qui va se forger grâce (ou à cause) de cette guerre, et documentaire, en ce qu'elle décrit le plus minutieusement et froidement possible cette même guerre.
 
Pendant ma lecture, j'ai pensé immédiatement à Full Metal Jacket, film réalisé par Stanley Kubrick et sorti en 1987. En effet, là aussi nous assistons à la préparation éprouvante des futurs marines avant de partir au Vietnam, puis aux combats proprement dits, ainsi qu'aux répercussions psychologiques qu'a pu induire cette guerre sur toute une génération de jeunes américains qui n'y étaient que rarement partis de leur plein gré.

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