Grâce et dénuement (Alice Ferney)

Gr__ce_et_d__nuement___Alice_FERNEY
 
Esther, bibliothécaire de son état, fait la rencontre, dans un jardin abandonné, d'une famille de Gitans dont la matriarche, Angéline, accepte peu les "gadjos", surtout pour faire l'éducation aux enfants ou la leçon à ses fils désormais adultes. Car Esther, révoltée par les conditions dans lesquelles toute la famille est obligée de vivre, décide de donner une certaine forme d'éducation  aux plus jeunes par la lecture, chaque semaine, d'un grand classique de la littérature pour enfants. Cette lecture hebdomadaire va rapidement rapprocher les enfants d'Esther, et la confiance qu'ils vont finir par lui accorder va se transmettre aux adultes de la famille. Esther deviendra alors une amie, ce qui va lui permettre d'entrer en confidence avec cette famille pour le moins attachante et complexe, et découvrir ce qu'est véritablement, au delà des préjugés, la vie des Gitans, et le pourquoi de cette vie; elle va découvrir la "grâce" dans le "dénuement" de cette famille au destin chaotique...

Ce roman, que j'ai acheté de manière tout à fait arbitraire et spontanément (je ne connaissais que très peu l'auteur de nom), est une excellente surprise. A l'origine, je voulais surtout lire quelque chose de bref et de simple pendant mes vacances, ne pas me prendre la tête, ce qui m'arrive bien assez souvent le reste du temps; j'aurai pu choisir les Pensées de Pascal, ou les Essais de Montaigne, lectures somme toute riches et passionnantes, mais cela me semble un peu moins approprié pour se détendre l'esprit... Or le sujet de ce roman d'Alice Ferney, bien que loin d'être léger, me semblait un peu plus "exotique" et original pour me changer de mes escapades littéraires habituelles.
 
Et bien je n'ai pas été déçue, loin de là : ce roman m'a "littéralement et dans tous les sens" émue, d'abord par l'histoire de cette famille qui, au fond, force le respect et fait réfléchir sur sa propre existence d'occidental imbu de lui-même, en perte de véritables valeurs comme l'amour, la famille, le respect des autres, au profit d'un consumérisme et d'un égoïsme de plus en plus aberrants et dévastateurs. Ce qui compte, c'est d'être ensemble, le soir au coin d'un feu (même si ce feu se consume sur un tas d'ordures), de vivre comme les choses viennent, et surtout de ne pas chercher à entrer dans le moule d'une société qui refuse toute forme de marginalité choisie, comme le sont bien souvent les Gitans. Car ces Gitans, même s'ils sont pauvres et pas ou peu instruits, ont ici choisi leur marginalité qui est pour Angéline la marque de leur grandeur et de leur noblesse, dans un monde où on les considère presque comme des animaux.
 
J'ai également été touchée par l'écriture, simple et sans fioritures (même si recherchée pour obtenir ce résultat) ,  par la façon dont la romancière pénètre au cœur de ses personnages, de leurs pensées, pour mieux les retranscrire à nu, sans artifices, et ainsi donner à ces pensées une authenticité brute mais attachante : ce sont des personnages qui disent ce qu'ils pensent, sans hypocrisie, sans chercher à plaire ou à entrer dans une norme qu'ils ne connaissent que peu et qu'ils n'acceptent de toute façon pas. Les personnages eux-mêmes sont enfin tout aussi touchants, autant par la manière dont ils s'expriment que par la façon dont ils ressentent les choses, dont ils comprennent un monde qui bien souvent les dépasse et les indigne, et dont ils refusent les règles de ce monde pour mieux rester authentiques... Seule la littérature va leur permettre de toucher des doigts ce monde, dans sa beauté irréelle certes, et surtout dans ses valeurs les plus nobles qu'eux-mêmes connaissent.

J'ai vraiment adoré ce livre sur la lecture comme source d'éducation, qui est pour moi, même si l'on est dans la fiction, une grande leçon d'humanité et de relativisme sur le monde dans lequel nous vivons actuellement : à quoi bon se plaindre sur des choses futiles, comme le matérialisme qui gangrène la vie de chacun, alors que vivre, même le plus simplement, est bien plus important? Le dénuement le plus complet , autant matériel qu'intellectuel, peut être source de félicité, même si on nous a formatés, depuis des siècles, à penser le contraire. "Et tout le reste n'est que littérature", puisqu'elle est la seule chose qu'accepte les Gitans, qu'ils reconnaissent comme faisant partie de leur vie et de leur félicité, et de plus en plus grâce à Esther; elle seule trouve grâce à leurs yeux et leur semble suffisamment noble pour être écoutée.

Mon premier gros coup de cœur depuis longtemps, que je me tarde de faire partager à mes petits occidentaux d'élèves si consuméristes et peu intéressés par la lecture et la Littérature, peut-être que ce roman les fera un peu réfléchir!!!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire