De cape et de crocs est
en fait une redécouverte puisque j’avais lu les premiers tomes ado,
sans en avoir gardé beaucoup de souvenirs, si ce n’est les deux
personnages
principaux.
Maupertuis,
renard français, et Don Lope De Villa Lobos Y Sangrin, loup catalan,
sont deux
amis qui tombent sur un vieillard, Cénile Spilocio, à Venise. Ce
vieillard a besoin de l’aide de gentilshommes pour sauver son fils
enlevé par des Turcs. En bons samaritains, les deux amis se
rendent sur la frégate où se trouve le jeune homme pour le sauver :
ils n’y trouvent qu’un nombre incroyable de Turcs et une carte au trésor
annonçant le début de leurs mésaventures, et donc
de leurs véritables aventures…
Dès la présence de nos deux personnages principaux, on entre dans la perspective de
l’hommage fait à la littérature française : on reconnaît en effet très vite les « héros » du Roman de Renart,
monument comique de notre littérature médiévale, sous les
traits de Maupertuis (Renart le rusé) et sous ceux de notre canidé
espagnol (le loup Ysengrin). Maupertuis est d’ailleurs le nom du château
de Renart dans ce même Roman de
Renart.
Ce
premier hommage est également complété par d’autres références
littéraires diverses et
variées qui se repèrent au fil de la lecture des aventures de nos
compères : Molière, Shakespeare, Cyrano de Bergerac (la pièce d’Edmond
Rostand et l’écrivain libertin), la Comedia del Arte,
Baudelaire, La Fontaine, Dumas, Hugo… Ces références, plus ou moins
subtiles, sont particulièrement bien trouvées et s’intègrent toujours
bien au récit, pour n’en paraître que plus naturelles.
Chaque
nouvelle planche est enfin la découverte, dans la gueule de Maupertuis,
de toute une
série d’alexandrins magistraux formant de véritables poèmes. Voici
un exemple de réussite poétique de Maupertuis : « Ô pâle île au-delà
d’un océan de nues !... / Nous foulons hardiment
tes rives inconnues ! / Fichons-y un drapeau ! Erigeons une croix ! /
Mais au nom de quel roi ? De quel dieu ? De quel droit ? / Voyez notre
équipage au tour
hétéroclite… / Nous ne saurions trancher ! Aussi, je vous invite… / A
laisser en orbite étendards et tambours / Pour aborder cet astre à
patte de velours. / A la solennité préférons
l’élégance. / Aux grands bons conquérants… … De petits pas de
danse ! »
Cette BD n’est donc pas qu’un simple hommage aux grands de notre littérature, elle est aussi
une véritable création poétique personnelle sous la plume d’Ayroles, ma foi assez rare dans le neuvième art.
On peut ajouter à cela d’autres références, cette fois cinématographiques ou picturales, par
exemple avec le film Alien de Ridley Scott ou Le radeau de la méduse de Géricault (pour ne citer que quelques exemples)...
A
toutes ces références s’ajoute une histoire très bien construite,
vraiment passionnante en
ce qu’elle reprend, dans la logique des références sus-citées, les
ressorts de divers genres littéraires : la farce, la comédie, le roman
de cape et d’épée, le conte merveilleux, l’utopie,
le roman de piraterie… Tous ces genres s’imbriquent parfaitement
dans le récit, nous faisant passer d’une grande scène de combat à l’épée
à une situation rocambolesque, d’une autre scène
incroyable digne d’un roman de Jules Verne à de la comédie-ballet,
bien sûr sans tomber dans la caricature (sauf quand elle est voulue). On
ne s’ennuie en tout cas jamais, on est même pressé de
lire la suite des aventures de nos deux principaux personnages.
Personnages qui, en plus d’être drôles, sont attachants : bien qu’ils soient des
animaux, ils représentent tellement bien les qualités et les défauts des humains qu’ils en sont touchants (comme dans les Fables
de La Fontaine). Maupertuis est ainsi un courageux
bretteur, maniant comme personne le langage, mais en même temps un
peu trop fleur bleue et porté sur la bouteille ; Y Sangrin est tout
aussi courageux, aussi habile avec son épée que
Maupertuis avec ses paroles, mais fier, râleur et phobique des rats.
Si
l’on n’excepte Maupertuis et Y Sangrin, on peut citer d’autres
personnages récurrents qui
voyagent à leurs côtés, tout aussi drôles et attachants : Eusèbe,
petit lapin blanc arrivé aux galères on ne sait comment et qui fait
craquer toutes les gentes dames tellement il est
mignon (mais qu’est-ce qu’il est niais et crédule !) ; Rhaïs Kader,
turc qui recherche sa fille ; Séléné et Hermine, jeunes damoiselles bien
différentes qui ne vont pas laisser
indifférents nos compagnons… Etant là pour contrecarrer les plans de
nos héros, citons enfin Mendoza, chef de guerre aussi obstiné qu’un
inquisiteur (dont il en a un peu la prestance
d’ailleurs) ; Cénile, vieil avare qui ne pense qu’à récupérer le
trésor ; Boone, pirate avec un poulet en guise de perroquet qui fait
fort penser à Long John Silver (même s’il fait plus
rire que peur)…
Par la suite, bien d’autres personnages importants apparaissent, mais je n’en dirai pas plus,
au risque de trop en dévoiler sur l’histoire !
Quant aux graphismes, là aussi, le travail est remarquable, particulièrement bien
soigné.
Le
dessin est à mi-chemin entre le réalisme (les lieux, les costumes…) et
le cartoon (les
grimaces, les mouvements des personnages…) et rend vraiment bien la
vivacité ou le comique de nombreuses scènes. Il va d’ailleurs en
s’améliorant au fil des tomes, Masbou semblant prendre de
l’assurance avec ses personnages et son univers.
Le
choix des couleurs est quant à lui plus qu’incroyable car vraiment
pictural, puisque
symbolique : un moment guerrier et violent sera à dominante rouge,
un moment tragique sera à dominante noire, un moment de calme à
dominante bleue ou blanche…, accentuant ainsi certaines scènes
importantes. Il en est de même pour les costumes des personnages
qui, selon leur couleur, vont mettre à jour le caractère prédominant de
chacun (gentillesse, bravoure, cruauté…). Ce symbolisme
est là encore en lien avec toutes les références littéraires citées
précédemment.
De cape et de crocs est
donc, à mes yeux, un véritable bijou autant littéraire que graphique :
cette série est non seulement d’une richesse intertextuelle phénoménale
(je
suis persuadée de n’avoir repéré qu’une partie infime des références
en tout genre, une nouvelle lecture s’impose donc rapidement), mais est
aussi d’une richesse dans le choix des couleurs, des
tons, dans le trait de crayon. On sent qu’on a affaire à des auteurs
perfectionnistes, passionnés, qui veulent faire partager tout cela à
leurs lecteurs, jusqu’à créer un univers complet,
extrêmement riche et cohérent : il suffit de voir au dos des
couvertures de chaque tome les cartographies faites à la manière du
XVII-XVIIIème siècles par Masbou pour représenter les différents
lieux ou évènements importants de l’histoire !
Vraiment
mon dernier
très gros coup de cœur BD, à lire de toute urgence. J'attends le
prochain et dernier tome de ce cycle, prévu en avril, avec impatience !
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