Nationalité de l'auteur : Française
Publication originale : 2003
Publication dans cette édition : 2003
Edition : Stock
Nombre de pages : 284
Prix : 19,10 euros
Quatrième de couverture : " Elle ressemblait ainsi à une très jeune princesse de
conte, aux lèvres bleuies et aux paupières blanches. Ses cheveux se
mêlaient aux herbes roussies par les matins de gel et ses petites mains
s'étaient fermées sur du vide. Il faisait si froid ce jour-là que les
moustaches de tous se couvraient de neige à mesure qu'ils soufflaient l'air comme des taureaux. On battait la semelle pour faire revenir le
sang dans les pieds. Dans le ciel, des oies balourdes traçaient des
cercles. Elles semblaient avoir perdu leur route. Le soleil se tassait
dans son manteau de brouillard qui peinait à s'effilocher. On
n'entendait rien. Même les canons semblaient avoir gelé.
- C'est peut-être enfin la paix... hasarda Grosspeil.
- La paix mon os ! lui lança son collègue, qui rabattit la laine trempée
sur le corps de la fillette. "
Je découvre, avec ce roman, Philippe Claudel et je dois dire que Les âmes grises m'a donné envie d'en découvrir davantage.
J'ai d'abord été vraiment impressionnée par sa mise en place d'une construction narrative extrêmement surprenante, puisqu'il mêle tout le long du récit trois temporalités bien différentes : le passé le plus lointain qui démarre avec la description de l'Affaire et son contexte qui le précède; le passé un peu moins lointain dans lequel nous apprenons que le narrateur a fait des recherches pour comprendre cette Affaire, et enfin le quasi présent pendant lequel le narrateur écrit ce que nous lisons. On passe donc de temporalité à temporalité au détour de quelques pages ou de quelques lignes. Ce mélange est à mon sens facilement casse-gueule, mais j'ai trouvé que Philippe Claudel s'en sortait à merveille, et ce qui pouvait sembler anarchique prenait complètement sens de cette façon, donnait une incroyable cohérence à l'ensemble et surtout permettait de garder une once de mystère, ce qui n'aurait pas été possible avec une narration chronologique classique.
Revenons maintenant à l'histoire proprement dite : elle se passe donc pendant la Première Guerre Mondiale, dans un village dont on ne connaît pas le nom (à proximité de Lisieux en tout cas) et elle relate, par l'intermédiaire du narrateur, qui est un policier à la retraite, l'assassinat plus que sordide d'une des petites filles du village, Belle de Jour. Immédiatement, j'ai songé à Maupassant et à sa Petite Roque, autant pour les lieux décrits que pour le fait divers choisi. J'ai d'ailleurs fait ce rapprochement tout du long du roman : j'ai trouvé une certaine similitude bien agréable entre les deux auteurs dans la façon de raconter des scènes de vie plus ou moins banales. L'on se trouve à la fois consterné et touché par ces scènes du fait de leur crudité ou de leur poésie (par exemple la description de la petite Belle de Jour alors qu'elle est morte).
Le but du narrateur (enfin c'est ce que l'on croit, mais je n'en dirai pas plus), lorsqu'il commence à écrire son journal, dans les premières pages du roman, c'est de comprendre ce qu'il s'est vraiment passé cette nuit-là et de découvrir qui était le vrai coupable. A côté de cette histoire du village, nous touchons aussi du doigt l'histoire personnelle de notre narrateur qui a vécu son propre drame aux mêmes instants, et l'Histoire, celle de la guerre et des combattants qui reviennent estropiés au pays, qui désertent, qui meurent dans les tranchées. Comme pour le mélange des temporalités, on découvre ce mélange d'histoires, qui est tout aussi bien organisé et pertinent.
Les âmes grises est donc un roman que j'ai trouvé magnifique, autant parce qu'il y a un sacré travail littéraire fourni par son auteur (il a réussi à organiser le chaos, c'est très fort) que parce qu'il raconte, avec beaucoup de violence mais aussi de beauté, la vie d'un homme, le narrateur, confiné entre ces trois époques, ces trois histoires, qui le mènent à réfléchir sur sa propre condition humaine, mais aussi sur celle de chaque Homme, et à prendre conscience que chacun est capable d'autant de mal que de bien, lui y compris, ne pouvant avoir qu'une "âme grise".
Moi qui me demandais si j'allais me procurer son dernier roman, Parfums, qui me tentait bien, je crois que c'est tout réfléchi !
J'ai lu ton billet avec beaucoup d'intérêt, je suis manifestement vraiment passé à côté! Il mérite apparemment que je me repenche dessus plus tard!!!
RépondreSupprimerTu en avais pensé quoi en gros ?
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